Bratislava, parée de gris sans ciel et sans émoi

Bratislava, drôle de monde que voilà. Une ville qui ne ressemble qu’à elle, toute en superbe et en grondements. Les rues, immenses et encombrées, follement chevauchées, côtoient des trottoirs déserts mal éclairés. Tout est de béton armé, étrangement pourtant, le gris rassure. Les tags et les bâtiments historiques se rencontrent, une porte centenaire maquillée de vert, un pont tout en ferraille recouvert de messages… La quiétude est faite des vrombissements. La pollution rassure et le gris devient un rassurement, tel un tranquille susurrement.

Et le cœur de la ville bat comme sa périphérie. Les grandes allées sont grises, propres et décharnées. Et dans le creux du béton armé, dans le ventre de ces bâtiments jamais refaits, gazouillent silencieusement des bars et des cafés. A l’intérieur, tout est jeune, tout est branché. Ouvrir une porte à Bratislava, c’est fermer celle du soviétisme pour entrer dans l’occidentalisme. Tout est pastel, tout est épuré. L’âme slave s’est endormie, l’américanisme brille. Les cafés sont hipsters et bobos, on y boit du chaï latté et de sophistiqués expressos. On grignote des pan-cakes bio, des céréales vegan et des soupes gluten-free. Les gens postent leur assiette sur instagram et les cafés comptent leurs likes. Bratislava se veut à la pointe, proche de l’Europe, ponctuent ses enseignes de mots français ou anglais, consomment américain jusque dans son café. Bratislava le montre, la Slovaquie a tout oublié, les slovaques sont jeunes et connectés.

Mais tout est silencieux. Intérieur comme extérieur, la ville garde son calme pieux. Les gens marchent, neutres et impassibles. Les conversations sont des chuchotis et on soupire lorsque l’on rit. Personne ne sourit non plus : c’est qu’il en faut du sérieux pour être parfaitement européen. Toute la ville est un silence, à l’exception de quelques sirènes d’ambulances. Oubliez le tumulte parisien, car cette capitale-là ne s’écoute pas. C’est une ville à peu de sens mais ô combien riche d’essence pour qui sait écouter avec ses yeux.

Et la nuit, Bratislava est urbaine, toute en ombres et en lumières. Les arbres caressent le gris et l’herbe frôle parfois les pavés. Bratislava n’est pas triste, mais elle n’est pas non plus gaie. Bratislava est encore une feuille blanche, à qui il reste à écrire son identité. La voilà qui balbutie, qui ne sait pas, elle espère et se résigne tout à la fois. Les bus arborent fièrement les logos de l’Europe sur leur rouge flamboyant. On s’y engouffre bien sérieusement. Les gens respectent les feux, traversent sagement, comme s’ils étaient restés un peu les petits soldats du communisme d’autrefois. Les slovaques n’ont rien de nonchalants, chez eux tout est absolument sérieux. L’errance semble aussi proscrite que la vagabonderie.

Bratislava, parfaite, sérieuse,… ennuyeuse ? Sans doute, un peu, c’est que la ville semble éteinte dans son ciel gris. Mais il faut oublier, tout oublier, oublier Paris, oublier l’été. Bratislava est un long hiver glacé au milieu de l’automne précocement gelé. Bratislava est un froid, une neige qui ne fond pas, on la contemple sans s’y intégrer, car le sang chaud y sera toujours étranger. Bratislava, c’est le cœur d’une Slovaquie longtemps endormie, qui rêve sans doute de changer mais n’ose pas se lever, le cœur d’une nation singulière, au passé fort marqué, mais qui rêve follement de s’affirmer.

Et finalement, on quitte Bratislava sur un sentiment d’inachevé, tout en impressions partagées, entre la fascination et le rejet. Et bien vite on comprend que tout ceci est affaire d’incompréhension, comme une barrière qui se dresse entre des passés trop différents. Bratislava est une âme, une âme toute en complexités, il ne suffira pas d’un jour pour l’apprivoiser.

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