Céline Braconnier: « L’abstention joue sur les rapports de force: on en parle peu avant le premier tour »

En cette période électorale, l’abstention est sur toutes les lèvres et pourrait bien être une variable décisive du scrutin, d’aucuns parlent d’un « 21 avril bis ». Le Grand Pari est allé à la rencontre de notre directrice, Céline Braconnier, spécialise de l’abstention. Très sollicitée médiatiquement depuis quelques temps, elle a objectivement choisi notre rédaction pour ses questions pertinentes et précises.

Le Grand Pari: Vous travaillez sur la mal-inscription et la non-inscription, qu’est ce qui a été fait depuis la dernière élection présidentielle à ce sujet ?

En faisant des travaux sur l’abstention, nous avons conclu que la procédure d’inscription sur les listes électorales est un obstacle institutionnel créant des points supplémentaires d’abstention, en plus des autres facteurs. Un des éléments problématiques de l’inscription est le fait d’avoir à s’inscrire plusieurs mois avant le tour de scrutin, quand les campagnes sont à peine lancées. En effet, lorsqu’on est peu politisé, il est difficile de se positionner pour un.e candidat.e avant un mois avant le scrutin, surtout que l’offre politique n’est pas encore stabilisée.

 On a alors réussi à convaincre beaucoup d’élus et d’institutions à faire une réforme dans ce sens, qui a été votée au mois de juillet 2016 au parlement, et qui modifie le calendrier de l’inscription électorale : elle permet ainsi de s’inscrire jusqu’au sixième vendredi précédant le premier tour du scrutin.

 Cette réforme va changer les campagnes électorales : les candidat.e.s devront convaincre les gens d’aller voter mais aussi de s’inscrire. En intégrant politiquement une part importante de gens à l’écart du vote, on change les rapports de force politiques. En effet la mal-inscription affecte des personnes qui, pour beaucoup, iraient voter si elles étaient bien inscrites. Si les abstentionnistes volontaires et les électeurs qui votent blanc existent, ils restent marginaux. Les candidat.e.s devront savoir où ils doivent aller faire campagne pour inciter à l’inscription et ainsi récupérer des voix.

On sait que les jeunes votent peu en général, comment l’expliquer ? Peut-on imaginer qu’ils se mobilisent davantage à cette élection présidentielle ?

Nous savons que le facteur le plus déterminant de la participation est l’âge. En France, c’est la catégorie des 18-25 ans qui vote le moins. Cela peut s’expliquer par deux éléments majeurs. D’abord, l’intégration politique suit l’intégration sociale. On vote davantage une fois qu’on a un travail et qu’on fonde une famille par exemple. Ces événements arrivent plus tardivement qu’il y a 15-20 ans avec l’allongement de la période d’études ou encore le fort taux de chômage qui touche les jeunes. Il semblerait aussi qu’aujourd’hui il y ait un moindre sentiment de culpabilité lorsqu’on s’abstient quand on est jeune et que l’école et la famille présenteraient moins le vote comme un devoir. Les jeunes seraient plus exigeants vis à vis de l’offre politique.

Concernant l’élection présidentielle, on observe que les écarts de vote entre jeunes et personnes plus âgées se réduisent par rapport aux autres élections. La présidentielle a en effet cette capacité à mobiliser massivement les jeunes et cela devrait aussi être le cas pour celle de 2017.

Malgré tout, la configuration actuelle ne semble pas favorable à une mobilisation de la jeunesse : il y a le candidat de la droite, qui attire peu les jeunes et deux candidats à gauche qui sont susceptibles de mobiliser le même électorat. Il est néanmoins possible qu’une mobilisation des jeunes se fasse dans le cas probable où Mme Le Pen irait au second tour.

On voulait revenir sur votre passage sur TF1 en Février, dans une séquence où vous proposiez de « déprofessionnaliser » la politique, avec l’exemple d’une Assemblée citoyenne dont les membres seraient tirés au sort. Est-ce que vous pouvez nous en parler un peu plus ?

On enregistre un sentiment très fort de coupure entre monde quotidien et politique ; il y a un fort sentiment selon lesquels les élus ne connaissent pas la vie réelle, et sont loin des préoccupations quotidiennes car ils n’ont connu que la sphère partisane et politique, qui est un monde à part avec ses propres règles.

Il faut déprofessionnaliser pour redonner confiance et redonner prise. L’idée d’une assemblée citoyenne, en particulier en substitution au Sénat me paraissait adaptée : on ne remet pas en cause la démocratie représentative -qui possède un certain nombre de vertus-, dès qu’il y a un dialogue avec une autre assemblée. Le tirage au sort c’est mieux que le vote en termes de représentativité. Pour que cela reste attractif, on conserve l’indemnité des sénateurs. Il faut qu’à la sortie du mandat ils puissent retrouver un travail s’ils le souhaitent, ou leur laisser une possibilité d’évoluer ; et leur faire exercer leur mandat dans des conditions de formation suffisante.

Aujourd’hui, il y a une conscience des formes de participation directe, mais aucun moyen ni dispositif n’est sérieusement mis en place. Mais dans de bonnes conditions, cela pourrait être un vrai plus en terme de renouvellement et de réconciliation du citoyen avec leurs élus.

Dans un article, vous expliquiez que les candidats n’ont pas intérêt à parler abstention. Pensez-vous que c’est toujours d’actualité ? Comment le faire ?

Vous avez raison. Parler de l’abstention c’est montrer qu’ils mobilisent peu. On sait que l’abstention joue sur les rapports de force, donc on en parle peu avant le premier tour. On en parle un petit peu après le premier tour puis ça passe à la trappe.

Les élus ont intérêt à ce que ce soit refermé dès l’élection passée, puisque ce qui reste à mettre en place c’est l’exercice du pouvoir donc leur légitimité. Il y a quand même une préoccupation en “off”, notamment des élus convaincus que l’abstention leur nuit. On pense que l’abstention nuit à la gauche et à l’extrême droite, car leur électorat présente des caractéristiques qui les rendent difficiles à mobiliser.

Pourtant les candidats mobilisent peu ?

Ils ont tort, mais c’est difficile de lutter contre l’abstention. A la présidentielle, ce qui mobilise c’est la médiatisation et le “sur-place”, la micro-pression familiale par exemple. Les candidats doivent jouer sur ça, avec du porte-à-porte par exemple, mais en France il n’y a pas de militants pour faire ça. Mais cela peut se jouer en une semaine, la participation dépend vraiment de quelques individus capable de mobiliser autour d’eux.

Entretien réalisé le 29 mars 2017 par Quentin Meunier et Nicolas Bidard, à paraître dans le prochain imprimé du Grand Pari

 

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